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Médical
Le besoin d’une meilleure éducation des professionnels de la santé au sujet du cannabis à des fins médicales
Marcia Gillman, docteure en soins palliatifs
Dre Marcia Gillman est médecin en soins palliatifs à l’Hôpital général juif de Montréal et directrice médicale adjointe de la première clinique de cannabis au Québec. Elle a d’emblée remarqué l’incidence positive du cannabis à des fins médicales sur la condition des patients en phase terminale, et croit que le cannabis peut être un traitement complémentaire pour ces patients, d’autant plus qu’il permet de réduire le nombre de médicaments prescrits par les médecins. Nous avons discuté avec elle des défis auquel fait face le cannabis à des fins médicales dans une société encore ébranlée par une épidémie d’opioïdes, du besoin de former les médecins à ce sujet, et du rôle que le cannabis à des fins médicales peut jouer auprès des patients en phase terminale.
Comment le cannabis à des fins médicales soulage-t-il la détresse vécue par les patients en soins palliatifs?
Les patients en soins palliatifs ont de nombreux symptômes pouvant être atténués à l’aide du cannabis, dont la douleur, les nausées, l’anxiété, les troubles de sommeil et le manque d’appétit. Je considère le cannabis comme un autre outil pratique qui permet d’améliorer la qualité de vie de ces patients qui prennent habituellement beaucoup de médicaments pour soulager leurs symptômes. D’ailleurs, il arrive même qu’ils consomment d’autres médicaments pour pallier les effets secondaires de leur médication de base. Lorsqu’il s’agit du traitement approprié, le cannabis permet parfois de diminuer le nombre de médicaments consommés; ce qui réduit les effets secondaires.
Vous avez déjà mentionné : « Je peux prescrire cinq médicaments pour atténuer les symptômes d’un patient, mais ces médicaments présentent des toxicités et des effets indésirables potentiels. » De quelle manière le cannabis à des fins médicales peut-il mettre fin à cette prescription massive de médicaments?
Selon de récentes études effectuées dans les 29 États américains où le cannabis à des fins médicales est licite, le nombre de prescriptions d’analgésiques et d’autres types de narcotiques a radicalement diminué (Bradford et Bradford, 2016; Bradford et Bradford, 2017). Un médecin moyen pratiquant dans un État où le cannabis à des fins médicales est licite prescrit 1 826 doses d’analgésiques de moins par année. De plus, le nombre de prescriptions d’autres médicaments, comme les anxiolytiques, les antidépresseurs et les somnifères, a grandement diminué. Notre approche pharmaceutique traditionnelle en médecine occidentale suit un modèle que j’appelle « un médicament, une maladie », en ce sens où nous donnons un médicament pour faire disparaître un symptôme, pour ensuite prescrire un autre médicament qui soulagera un autre symptôme. Le cannabis ne suit pas ce modèle, car selon les constatations des patients, il est efficace pour soulager plusieurs symptômes et troubles médicaux. Il est donc logique que les habitudes de prescriptions changent dans les États où le cannabis à des fins médicales est licite. J’ai d’ailleurs remarqué cette situation dans ma clinique.
Est-ce ironique que certains médecins soient réticents à l’idée de prescrire du cannabis à des fins médicales dans une société encore ébranlée par une crise persistante des opioïdes?
Contrairement au cannabis, j’ai l’impression que plusieurs médecins s’opposent moins aux opioïdes et ont plus de facilité à en prescrire. Plusieurs médecins sous-estiment souvent les dangers de la consommation d’opioïdes, et surestiment les dangers associés au cannabis. En 2016, plus de 42 000 personnes aux États-Unis sont mortes à la suite d’une consommation d’opioïdes, tandis que personne n’est décédé des suites d’une consommation de cannabis. Pourtant, peu de médecins acceptent d’envisager un tel traitement pour soulager la douleur chronique; et ce, malgré les données probantes indiquant que le cannabis semble être efficace pour diminuer la douleur chronique.
Comme vous l’avez mentionné, une méconnaissance manifeste du cannabis à des fins médicales est un danger en soi. De quelles manières la communauté des soins de santé peut-elle contribuer à l’éducation du public en ce qui concerne le cannabis?
Avant tout, les médecins doivent s’informer au sujet du cannabis. Je ne crois pas que ces derniers soient en mesure d’éduquer leurs patients s’ils ne se renseignent pas sur le sujet. Je crois qu’il est important pour la communauté médicale de se rendre compte que le cannabis n’est pas mortel en cas de surdose, que ses effets secondaires sont acceptables, et que ses effets indésirables sont bien définis. Lorsqu’il est consommé en doses thérapeutiques, le cannabis semble avoir un meilleur profil d’innocuité que la plupart des médicaments traditionnels consommés dans la gestion des symptômes.
Quelles questions vous pose-t-on le plus souvent lors de vos présentations éducatives destinées aux professionnels de la santé?
Les médecins expriment souvent des préoccupations au sujet de l’innocuité du cannabis. Ils désirent connaître les données probantes relatives au cannabis à des fins médicales, et veulent avoir une idée de ce à quoi ressemble le guide de posologie pour savoir quel produit prescrire et comment le prescrire. Souvent, les médecins ne savent pas qu’ils sont autorisés à prescrire du cannabis; plusieurs pensent qu’ils doivent détenir une licence particulière. Lors de mes présentations, je dois vraiment mettre l’accent sur le fait que tous les médecins canadiens peuvent prescrire du cannabis à des fins médicales.
Vous avez également participé à plusieurs événements, comme la Lift Expo et ReThink Breast Cancer, où vous faisiez partie de groupes d’experts. De quelle manière les questions posées par le public diffèrent-elles de celles posées par les médecins?
Ce que j’entends le plus souvent dans ces forums de discussion est : « Comment puis-je me procurer du cannabis à des fins médicales de manière légale si mon médecin refuse de m’en prescrire? » Le public profane est beaucoup moins sceptique face au cannabis contrairement aux médecins présents, et est beaucoup plus ouvert à l’idée d’en explorer les bienfaits.
« Pour mettre fin à la méconnaissance, il faut éduquer les gens au lieu de créer une politique. » Peut-on appliquer cette maxime aux débats entourant le cannabis?
Certainement. Lorsque le règlement sur la marihuana à des fins médicales a été adopté en 2014, il s’agissait d’une politique visant à faciliter l’accès au cannabis pour les patients. Ce n’est toutefois pas vraiment ce qui est arrivé, car je ne crois pas qu’il soit possible d’obliger, par une politique seule, les médecins à prescrire du cannabis. Plusieurs médecins refusent toujours d’en prescrire. Pourquoi, me demanderiez-vous? Je crois que c’est parce qu’ils ne comprennent pas bien la science des cannabinoïdes, le système endocannabinoïde et la base de connaissance et de données probantes existante sur le cannabis. Nous devons éduquer davantage les étudiants en médecine au sujet de la science du cannabis, et offrir des formations médicales continues aux médecins traitants. À long terme, j’espère que l’éducation suscitera un changement et accomplira ce qu’une politique à elle seule ne peut accomplir.